Un centenaire raconte…
Par Adrien Lapalud, le 20 juin 1985
Challex c’est l’orthographe adoptée à la révolution en 1793. Auparavant, Challex se nommait CHALOIY – CHALOSIUM – CHALLOES – (CHALAIS-CHALEX-CHALAIS) sont fréquents dans les derniers siècles. Enfin officielle aujourd’hui, c’est CHALES.
Notre village, comme tous les villages du Pays de Gex, est essentiellement agricole. Cependant, CHALLEX possède de plus son beau vignoble ; coteaux bien situés et produisant un très bon vin blanc, le « CHASSELAS » bien connu et renommé.
Les travaux
Au début du siècle, et tant que je me souvienne, vers 1908, ce vignoble était très important – des coteaux de vignes étaient situés à l’époque à « Gaillardin », « Les Charmilles », « En Rutet », « Pergy », et avec les cultures, l’élevage, le bétail, une certaine animation régnait alors dans le village.
En effet, pour assurer la bonne marche des travaux qui s’exécutaient, disons-le, tous manuellement, on devait, dès le printemps, faire appel à de la main-d’œuvre saisonnière. (Il y avait pour cela un marché chaque semaine à Genève place du Molard). C’est pour cela que l’on dénommait les ouvriers embauchés les « Molardiers ». Parmi l’embauche de ces ouvriers, qui était faite pour des durées variables, on retrouvait presque toujours les mêmes, ceux qui aimaient bien venir travailler à Challex. Ils se nommaient « Le Grand Louis », « Bézin », « Laguerre », « Montagnou », « Petit Jean ». J’ai bien connu tous ces braves travailleurs qui avaient chacun leur particularité.
Au printemps
On voyait alors dans les rues du village, des groupes de travailleurs, paysans et ouvriers qui allaient ou venaient des lieux de leur travail et puis à longueur de journée c’était des attelages ; chars tirés par des chevaux, plutôt des bœufs, qui avançaient lentement encouragés par la voix de leur maître. Afin de stimuler les boeufs, le bouvier était muni d’une ramure, au bout de laquelle dépassait une pointe acérée, et piquait les bœufs sur les fesses. (On appelait cette ramure « aiguillon »). C’était des « allez les boeufs » qui se nommaient « Froment », « Zouli », « Mouttey », « Coton ».
Indépendamment des cultures, foins, blé, orge, avoine, c’était la vigne qui nécessitait le plus de soin. Les premiers grands travaux après la taille vers mars, avril, c’était ce que l’on appelait « les romptaisons » ce qui signifie que l’on piochait profondément la terre avec un « fossoir ». Travail pénible, journées longues…
Il n’était pas rare de voir 5 ou 6 vignerons dans le même coteau. Tous ces travaux duraient plusieurs semaines. Plus tard, on « rebinait » ce qui consistait à piocher plus légèrement la terre en éliminant les mauvaises herbes. Ce travail était tout de même moins pénible.
Tout au début du siècle, on ne sulfatait pas la vigne. C’est un peu plus tard que l’on a commencé à lutter contre les maladies cryptogamiques qui s’étaient abattues sur les vignes et principalement le « mildiou ».
Pour la préparation de la bouillie pour sulfater la vigne, c’était toute une opération. La veille, on mettait à fondre dans des tonneaux de sulfate de cuivre en cristaux (3 kg pour 100 litres). Le lendemain matin on ajoutait du lait de chaux (1%) pour neutraliser le sulfate de cuivre. Pour s’assurer que cette bouillie était prête à l’emploi, on trempait un papier dit « tournesol » dans la bouillie et lorsque celui-ci se pointillait de rouge, c’était parfait.
Quant au travail féminin, il consistait premièrement à l’effeuillage – mois de mai-juin – c’est-à-dire que l’ouvrière éliminait les bourgeons non producteurs en en conservant cependant certains qui seraient utilisés pour la taille de l’année suivante. C’était donc un travail délicat. Puis, vers le mois de juillet, on procédait à l’attachage de la vigne. Pour cela, l’ouvrière relevait les pampres qui retombaient, les rassemblait dans une main et au moyen de brins de paille qu’elle tenait dans son tablier, elle liait d’une main experte ces pampres autour de l’échalas. Il faut dire qu’à cette époque la vigne n’était pas tendue sur fil de fer. La paille utilisée pour lier la vigne était spécialement de la paille de seigle qui était plus fine. Elle était mise à tremper dans l’eau et de ce fait devenait plus souple et ne cassait pas. On s’approvisionnait principalement à Saint-Jean-de Gonville, où l’on voyait en effet, pendues sous les avants-toits, des gerbes de paille de seigle. Cette paille servait également pour la fabrication des liens pour lier les bottes de paille lorsque la batteuse fonctionnait.
C’étaient des journées très pénibles car ces travaux qui duraient plusieurs semaines étaient exécutés à l’époque des grandes chaleurs.
Pendant l’été
A part les travaux au vignoble, c’était aussi bien sûr les « fenaisons » ; dès le mois de juin, on commençait à faucher les prairies. Dès l’aube, et après avoir bu un coup de « gnole », les faucheurs armés de leur outil se rendaient dans les champs. Avec la rosée de la nuit ce n’était pas trop pénible, mais, dès que le soleil s’élevait dans le ciel, on avait alors très chaud et l’on ralentissait l’allure. On profitait d’un instant de repos en prenant le casse-croûte (soupe, fromage et piquette du cidre) que l’on avait apporté vers huit heures. Puis, aussi lorsque la faux coupait moins, on battait cette dernière et cela était aussi un instant de repos. Battre la faux, c’était la démonter puis, au moyen d’une petite enclume dont on enfonçait le pied dans la terre et à l’aide d’un marteau à la tête arrondie, on frappait assez rapidement sur le tranchant posé sur l’enclume sur une largeur d’un ½ cm. Travail délicat car il ne fallait pas trop amincir la faux et conserver le biseau. Puis vers 11 heures on « désendelait » c’est-à-dire qu’au moyen d’une fourche on étendait le foin coupé pour le livrer aux rayons du soleil.
L’après-midi on retournait ce foin et en fin de journée on l’amassait puis on formait de gros tas bien alignés que l’on nommait « cuchets ». Dès le lendemain, on étendait à nouveau ce foin et s’il avait fait bien chaud, on pouvait alors le « rentrer ». Avant de procéder au chargement, on faisait de petits tas appelés « fourchées » que l’on envoyait au moyen d’une fourche sur le char où un homme les recevait et répartissait régulièrement sur le char, jusqu’à une certaine hauteur.
Dès que l’on avait terminé le chargement, les chars étaient conduits à la ferme et là il fallait procéder au déchargement, reprendre fourchée après fourchée et les envoyer sur le fenil ou « fenière ». Une fois les chars libérés, on repartait sur le champ où l’on procédait à un ou plusieurs chargements. Les journées étaient très pénibles avec la chaleur, la sueur, la poussière du foin, les mouches, les taons. Après les fenaisons, c’était les moissons – du 20 juillet au 15 août environ. Ces travaux s’exécutaient toujours manuellement (les premières faucheuses mécaniques firent leur apparition vers les années 1910 ; ce fût une véritable révolution).
Contrairement aux travaux de fenaison, on commençait à faucher le blé dès que la rosée était tombée afin que les tiges soient rigides. Dès que le champ était fauché, armé d’une faucille, on rassemblait un petit tas de blé fauché (travail effectué par les enfants dès que les vacances scolaires avaient commencé, soit le 1er août). Ensuite on étendait un lien sur le sol et l’on mettait par-dessus un certain nombre de petits tas afin de former une « javelle » que l’on liait et chargeait sur des voitures.
A l’automne
Dès septembre, on commençait les labours et on préparait le terrain en vue des semailles. Dès octobre, c’était les semailles. On semait le grain à la main, le blé était mis dans une « batiule » (sac de jute en bandoulière) puis, à pas réguliers, on lançait à quelques mètres devant soi une poignée à gauche, une à droite. C’était de longues journées pour le paysan, mais aussi pour les attelages de bœufs qui tiraient lentement la charrue. Il fallait beaucoup de patience car ces travaux duraient quelques semaines. En septembre-octobre, c’était aussi l’arrachage des pommes de terre. On en plantait de grands champs car, à l’époque, c’était le plat principal. Les plus grosses étaient utilisées pour la cuisine et les plus petites étaient destinées à l’élevage des cochons.
Enfin, octobre arrivait et c’était la saison des vendanges. Grande satisfaction pour le vigneron qui allait enfin récolter le fruit de ses peines. Bien sûr, chaque propriétaire recrutait son personnel pour ces travaux qui duraient environ 10 jours. C’était des équipes de 6 à 8 ouvriers. L’élément féminin dominait. Armée d’une « serpette » et munie d’une « bidon », chacune s’installait dans une ligne et la cueillette commençait. Dès qu’un bidon était plein, on criait « bidon » ! et un ouvrier ramassait ce bidon et venait le vider dans la « brande », espèce de hotte en bois d’une contenance de 60 litres. Là, le « brandier », comme on le surnommait, armé d’un « piton » foulait le raisin et quand la brande était pleine, on la vidait dans une « bossette » qui était conduite au pressoir dès qu’elle était pleine. Au pressoir, 2 hommes s’affairaient afin de vider les bossettes dans une cage posée sur le pressoir et le pressurage commençait. A la vigne, la cueillette s’effectuait joyeusement dans les rires et les chansons. Durant ces journées de vendanges la ménagère s’efforçait de préparer un menu copieux et varié afin d’encourager l’équipe.
Les vendanges terminées, c’était la cueillette des fruits du verger, pommes, poires de qualité pour la conserve. Les petits fruits ainsi que poires spéciales étaient destinés pour la fabrication du cidre, boisson principale pour beaucoup.
Puis venait le ramassage des noix. A l’époque, il y avait beaucoup de noyers ; un exemple : de chaque côté de la route qui conduit à Dardagny, ces arbres se touchaient tous.
J’ai oublié aussi les regains (coupe après les foins) qui s’effectuaient fin août-septembre puis également, après les regains, c’était la batteuse qui se composait d’une locomanille chauffée au charbon. Elle avait un grand volant, une grande courroie reliée à une poulie qui actionnait la batteuse. 15 personnes étaient employées. On buvait sec, car la poussière était de partout. Pour les enfants, c’était la fête de voir fonctionner cette batteuse à laquelle on devait atteler 2 paires de bœufs pour la déplacer. La journée commençait vers 7 heures du matin, on buvait le café, la gnole puis, vers 9 heures, c’était la soupe, pain, formage, piquette ou cidre. Le repas de midi était soigné et chaque propriétaire s’efforçait de bien soigner son personnel pendant ces journées assez pénibles.
J’ai vu encore certains cultivateurs, pour éviter les frais de la batteuse, battre leur blé eux-mêmes. Pour ce faire, on étendait les épis sur le sol de la grange, puis avec un engin nommé « fléau » – manche de bois au bout duquel était relié un autre morceau de bois plus court – on frappait les épis à un rythme cadencé – 2 ou 3 personnes accomplissaient ce dur travail.
Puis novembre arrivait. C’était le moment de la coupe affouragère. Chaque ménage pouvait bénéficier de cette coupe de bois effectuée sur les biens communaux. Ces travaux duraient environ une semaine. On abattait, on coupait puis faisait des tas « mattes » assez réguliers et, par tirage au sort, on recevait les mattes désirées. C’était la joie de travailler en communauté et presque une partie de plaisir.
Pendant l’hiver
En novembre-décembre arrivait l’alambic, « distilleuse ou machine à goutte » comme on disait. C’était la maison Girod de Logras avec le père Blanc (son grand béret) qui opérait. Cela durait trois semaines au moins. C’était une animation avec le transport des marcs et toujours un attroupement autour de la machine car chaque distillateur apportait une bonne bouteille. Pour certains, c’était l’occasion de boire « à l’œil ». Certaines personnes faisaient 50 et même 100 litres d’eau de vie à 50°.
Enfin l’hiver s’annonçait. Alors que les grands travaux étaient terminés, on s’occupait à préparer le bois pour la saison prochaine, réparer les outils, les chars. Les ménagères cousaient, tricotaient. On cassait également les noix pendant des journées entières. A part toutes ces activités agricoles, Challex avait aussi ses artisans, à savoir : un charpentier, M. Grostabussiat, le père Tabu comme on le surnommait, un colosse toujours vêtu d’un pantalon de velours, son atelier était l’actuelle salle des fêtes, un menuisier, M. Saunier. Par la suite, ce furent les frères Vernay et M. Fernand Duret qui assurèrent les travaux de charpente et de menuiserie. Quant à M. Saunier, tenancier du café des platanes, il réussit à fabriquer avec du vin blanc une excellente méthode champenoise. Un charron qui faisait les roues de chars, c’était le père Besson. Un tonnelier, M. Magnin, un forgeron maréchal ferrant, le père Simon Cuzin qui chantait à longueur de journée tout en frappant sur l’enclume. Il ferrait aussi les bœufs et les chevaux. Un boulanger et un fromager bien sûr.
L’artisanat et le commerce
En plus des artisans, deux fois l’an, au printemps/fin de l’été, venait le « rétameur », le magnin comme on disait. On lui remettait cuillers, fourchettes, plats. Les gosses s’attardaient auprès de lui sur la place où sur un feu de braise, il mettait à chauffer de l’étain dans un grand récipient, et lorsqu’il était en fusion il trempait les objets dedans, les ressortait et avec du coton les essuyait et les trempait dans l’eau. Ils avaient alors l’aspect du neuf. Aussi passait au village le rémouleur. Puis chaque année venait également une vendeuse d’objets divers, louches, cuillers en bois, robinets, plumeaux, etc… Cette brave femme venait de la Maurienne où les hommes fabriquaient certains objets l’hiver. Le tout était contenu dans une très grande poussette. Par le train, elle débarquait à Bellegarde et, de là, chaque jour elle offrait sa marchandise dans tous les villages gessiens en poussant la charrette à longueur de journée. Elle aimait à venir coucher chez nous. On lui avait offert un lit car elle demandait à coucher à l’écurie pour ne pas dépenser. Pour son souper c’était la soupe uniquement, pour 20 centimes.
Il y avait de la vie partout et pourtant pas d’automobiles, quelques vélos. Pour circuler à bicyclette à l’époque, il fallait se munir d’une plaque achetée chez le receveur-buraliste. C’était une plaque en alu que l’on devait fixer au cadre du vélo. Le nom de l’acheteur était inscrit sur un registre, cela en cas de vol car la gendarmerie n’était pas avare de P.V. Cette plaque était valable un an et coûtait 0,60 franc.
En plus de cela, deux épiceries étaient au service de la clientèle. Chez Brunet, petit magasin situé en bordure de la route, côté gauche de la route qui conduit à l’église et chez Pernoud, petit magasin situé place de la mairie, tout près de l’école des garçons. On trouvait dans ces magasins toute l’alimentation principale, riz, pâtes, sucre, café, etc…. puis le pétrole pour garnir nos lampes d’éclairage car on était loin d’avoir la fée électricité.Nous les gosses, quand on possédait un sou, on courait au magasin pour se payer quelques bonbons, des « drops » que l’épicière nous remettait dans du papier journal en forme de cornet. On était heureux. Toutes les marchandises se vendaient au détail, rien n’était empaqueté. De plus, la maison Lacrevaz de Thoiry venait chaque semaine à Challex pour livrer certaines marchandises en gros. C’était des pains de sucre (coniques) qui pesaient 6 à 8 kg que l’on devait casser en petits morceaux au moyen d’un coutelas et marteau.
Pour le savon, c’était des barres de 5 à 10 kg et, au moyen d’un fil d’acier, on découpait dans ces barres des parts d’environ 1 livre et l’on superposait ces morceaux sur le buffet de la cuisine afin de les faire sécher. L’argent était rare et il fallait économiser dans tous les domaines. Il y avait au village aussi, pas loin de la place de la mairie un petit débit de boissons. On y vendait seulement du vin qui coûtait quelques sous moins chers qu’au café. On dénommait ce débit « cercle démocratique » (1 gérant-société). Il y avait un cercle dans chaque commune du pays de Gex. En plus, au village il y avait 4 cafés.
Chez Perrier, chez Lapalud (café de l’Union – chez mes parents et la maison où je suis né), chez Saunier (café du Platane (actuellement l’Auberge Challaisienne) et le café de la Poste. Dans l’établissement de mes parents, j’ai souvent assisté à des scènes typiques. C’était le lieu de rendez-vous des ouvriers et surtout le samedi soir, après avoir bu un petit coup de trop (à l’époque on ne buvait que du vin blanc) on se chamaillait un peu, mais tout se terminait amicalement.
C’est aussi au café que l’on traitait affaires : pour la vente d’une parcelle de terrain et surtout la vente de bestiaux. On discutait ferme, on buvait sec puis enfin on tombait d’accord. Alors on se serrait fermement la main et le marché était conclu. On ne revenait pas sur ces paroles qui étaient d’honneur.
Aussi, vers la fin du siècle dernier, dès 1870 et jusqu’à l’année 1904 était installé dans le couvent un pensionnat de jeunes filles qui était très fréquenté surtout par des jeunes filles de familles aisées venant de Genève. Ce pensionnat était dirigé par des sœurs religieuses dont certaines faisaient l’école aux enfants du village qui n’avaient pas encore atteint l’âge scolaire.
Deux moulins fonctionnaient aussi pour moudre le grain, faire la farine. Ils étaient situés sur les bords du Rhône et étaient actionnés par une grande roue de bois à palettes que le fleuve entraînait
et faisait tourner. Ces moulins, l’un dit le moulin de l’olivier était juste en dessous de « La Corbière » et a été exploité pendant des décennies par la famille Brunet. L’autre dénommé moulin de « Bilet » était en bordure de la carrière actuelle. Il a été exploité par les familles Lapalud (mon arrière grand-père, mon grand-père et mon père jusqu’à l’année 1900) et de 1900 à 1924 par mon oncle Lapalud (date de la mise en eau du barrage de Chancy-Pougny qui inonda le moulin).
Au début de l’hiver on faisait aussi l’huile de noix, cela pendant plusieurs mois. Au début, on cassait les noix et puis dès que la neige arrivait, on commençait à « gremailler » c’est-à-dire qu’on se réunissait la veillée, plusieurs familles parfois, et sous la lampe à pétrole autour de la grande table de la cuisine, on triait les cerneaux qui serviraient à fabriquer la fameuse huile de noix. Les coquilles étaient gardées pour alimenter le feu. On chantait, les anciens racontaient des histoires, toujours les mêmes, puis on se séparait après avoir pris une petite collation – pain, fromage, confiture et bien sûr un bon petit coup de blanc. Avec le tourteau de la première pressée on faisait de bonnes galettes.
Au bord du Rhône existaient aussi, juste avant de franchir la frontière, des bâtiments qu’exploitait un certain Monsieur X. Il fabriquait du vin. (Mon père m’a raconté qu’à l’époque ce monsieur recevait des fûts de vin auxquels il ajoutait en grande partie de l’eau du Rhône ainsi qu’un produit chimique). Cette fabrication ne dura que peu de temps et c’est pour cela que l’on avait nommé ces bâtiments « l’usine à vins ».
Par la suite, ces bâtiments transformés par MM. Plonoski et Nitzberg devinrent l’usine des produits pharmaceutiques de Challex que dirigeait M. Moutton. Les deux fils de M. Moutton, Louis et Marcel, travaillaient avec leur père dans l’usine. Ces travaux étaient pénibles. Une odeur insoutenable régnait dans l’usine et il fallait être habitué pour y résister. L’usine était chauffée au charbon et cela nécessitait un transporteur car le charbon arrivait en vrac par wagons à la gare de Saint-Jean-de Gonville, ainsi que tous les produits devant servir à la fabrication. Ces transports étaient effectués par chars et chevaux.
Cette usine employait une quinzaine de personnes (hommes et femmes). On y fabriquait différents produits pharmaceutiques : la « pylocarpine » (soin des yeux), une certaine poudre à fabriquer la « cocaïne ».
Pour la fabrication, on utilisait des plantes diverses venant d’Afrique : « noix vomique », « noix d’Arech », « fèves de Calabar », « feuilles de Joborandry ». Ces produits étaient concassés avant d’être traités et sur des centaines de produits traités, il n’en restait que quelques kilos après fabrication.
Cette usine fut fermée en 1939 et rouverte en 1945 et ferma définitivement ses portes quelques années plus tard.
Outre les cultivateurs, il y avait bon nombre d’ouvriers et d’ouvrières qui allaient travailler à l’usine du « Rhône » à La Plaine (j’en ai dénombré une trentaine avant 1914). A l’époque on y fabriquait principalement des parfums (lilas, jasmin, héliotrope, acacia, etc…) et bien sûr divers tubes de dimensions différentes qui étaient destinés à recevoir du parfum. Sur le sommet de ces tubes était fixée une armature munie d’un ressort. Dans celle-ci était collé un petit cône en caoutchouc ; en appuyant sur l’armature, on libérait la fermeture et le parfum s’échappait par un très petit trou et giclait très loin. Toute la fabrication de l’année était envoyée en Amérique et était utilisée en quelques jours au carnaval de Rio. Il faut noter que la fabrication des ressorts et le collage des caoutchoucs étaient effectués au village par des femmes d’ouvriers. On rencontrait donc chaque jour ouvriers et ouvrières se rendant à leur travail à pied, panier au bras contenant le repas. C’était des journées longues. Le soir on rentrait après une journée bien remplie et pas très payée à l’époque. On y fabriquait également un chlorure d’éthyle nommé KELENE utilisé pour anesthésie locale et bien sûr la fameuse aspirine des usines du Rhône.
Juste avant 1920, le village comprenait une centaine de maisons pour 150 ménages paysans et une trentaine de ménages ouvriers d’usine. On comptait à cette époque 530 habitants. Il y avait 80 porteurs de lait. Certains paysans ne possédaient qu’une ou deux vaches. Par contre il y avait des chèvres presque dans tous les ménages.
Les rues n’étaient pas goudronnées avec beaucoup de « nids de poules » et, par temps de sécheresse, la poussière envahissait les maisons. Avec cela représentez-vous des tas de fumiers pour chaque ferme et quelquefois tout proche des maisons d’habitation. L’été, les cuisines étaient donc envahies par les mouches et aussi par les odeurs !
La vie familiale
Malgré cela, la vie s’écoulait normalement et maintenant je vais essayer de vous faire revivre ce qu’était la vie familiale.
La famille était composée du père, de la mère, des enfants, des grands-parents qui, quelquefois malgré leur âge avancé, restaient à la maison jusqu’à leur mort.
Tous, ainsi que les ouvriers, se retrouvaient à la cuisine, principalement aux heures des repas et pour la veillée.
Dans la cuisine, il y avait bien sûr un fourneau (le bas en fonte) dans lequel on brûlait du bois. Au milieu, une grande table, deux bancs. Contre le mur, un vaisselier, un buffet, un évier près duquel était un petit banc assez bas destiné à recevoir bidons et arrosoir d’eau potable. Dans un angle, une grande horloge. Au début du siècle, dans l’embrasure de la fenêtre, se trouvait le « potager » qui était fait de molasse percée de deux trous sur lesquels on faisait quelquefois la cuisine ; au-dessous se trouvait le cendrier dont la cendre était précieusement gardée pour couler la lessive.
La mère, toujours la première levée, surtout pendant les grands travaux, préparait les légumes pour le repas de midi. Puis, elle chauffait le café pour les hommes, le père et les ouvriers. Elle soignait aussi le petit bétail, lapins, poules, puis ensuite préparait le déjeuner des enfants, café au lait et pain. Plus tard, après la traite et les soin du bétail, c’était l’heure de la soupe pour les hommes (pain, fromage, cidre ou piquette). Puis, ils se répartissaient le travail. Le ménage terminé, et si le temps le lui permettait, la mère s’occupait du jardin jusqu’à l’heure du repas de midi. Les repas ne variaient pas beaucoup : choux, carottes, pâtes, pommes de terre, haricots, viande de porc, bœuf le dimanche. Dans les jardins à l’époque on ne connaissait pas les cardons, endives, fenouil, etc… pas même un pied de fraises. L’après-midi, après la sieste, on reprenait le travail jusqu’au soir, disons jusqu’à la nuit.
Quelquefois, lorsqu’un travail pressait, la femme allait donner la main, mais elle était toujours de retour à la maison vers 6 ou 7 heures pour « tremper » la soupe préparée dans une grande marmite. Au moyen d’une « poche » elle remplissait des « pots », toujours le même pour chacun. Pour les enfants, il n’y avait pas d’heure pour manger la soupe et l’été avec les copains on prenait chacun son pot de soupe que l’on allait manger dehors sur un billon de bois ou au bord du fossé.
Chaque famille avait à l’époque deux, trois, quatre enfants. On s’aimait beaucoup les uns les autres et avions beaucoup de respect pour nos parents. A part l’école, chaque enfant aidait à certains petits travaux.
Il y avait malgré tout des familles très pauvres, la mère veuve, plusieurs enfants. C’était très dur, la mère devait faire beaucoup de journées de travail pour subvenir au ménage car en ce temps-là on ne distribuait pas les allocations familiales. Les familles les plus nécessiteuses étaient tout de même secourues par la commune. On leur versait quelque argent ou alors on leur délivrait des bons de pain. Le jeudi les enfants allaient dans les bois faire provision de bois mort pour les besoins de l’année. Puis, pendant les vacances, ils allaient garder le bétail dans les champs et recevaient pour cela la nourriture, une pièce de 5 francs et une paire de sabots.
Les loisirs
Malgré le travail écrasant, on prenait tout de même quelques loisirs. Le dimanche on faisait quelques parties de boules. Il y avait une société avec son siège au café Saunier. Il y avait également une société de billard au café Lapalud. Elle se dénommait « L’esquipot ». On était tenu de faire un certain nombre de parties par mois et puis, en été, on organisait un tir à la carabine.
La fanfare « La Lyre Challaisienne », fondée en 1884/1885, regroupait beaucoup d’exécutants. Elle se produisait lors des grandes fêtes, le 14 juillet, la « vogue » bien sûr.
Et puis en 1920 fut créée la société de football.
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On aimait encore bien s’intéresser aux nouvelles et bon nombre de paysans lisaient tout de même le journal. Deux hebdomadaires paraissaient : le « Nouvelliste », tendance droite, et le « Lyon Républicain », centre-gauche. Chaque jour, deux enfants couraient en sortant de l’école déposer ces journaux chez les abonnés. Pour le « Nouvelliste » c’était mon ami L. Pernoud et moi-même pour le « Lyon Républicain ». Le journal coûtait 5 centimes.
L’école
On commençait l’école vers 6 ans et c’est à cet âge que l’on portait les premières culottes. Jusque là, on était en robe, en tablier, sac au dos. Par mauvais temps une pèlerine avec capuchon, bas de laine et muni de galoches. On était donc habillé bien simplement et souvent les plus jeunes étaient vêtus avec les effets des aînés (trop grands parfois).
On fréquentait l’école primaire jusqu’à l’âge de 13 ans et si l’on avait bien étudié, on obtenait le certificat d’études.
Les études étaient assez poussées : calcul, géographie, histoire de France. On connaissait par cœur les tables de multiplications, le nom des 87 départements, leur préfecture, le nom des fleuves, leurs sources, affluents etc. Après le certificat d’études, on restait en général à la maison pour seconder les parents dans leurs travaux. Assez rares étaient les enfants qui partaient en apprentissage. Pourtant quelques jeunes filles apprenaient la couture et devaient se rendre à Saint-Jean-de-Gonville ou à La Plaine.
Les fêtes, les friandises
Pour le jour de l’An on fabriquait des bricelets. Les enfants des familles peu aisées, munis de leur panier, venaient souhaiter la Bonne Année. On leur remettait alors quelques bricelets. Pour mardi gras on se déguisait.
Les masques, comme on les appelait, déambulaient dans le village, de maison en maison, pour récolter quelques bonbons ou plutôt des bugnes et un verre de cidre. La mi-carême, c’était l’époque des « failles ». Pendant plus d’une semaine, les jeunes allaient chez les paysans à la quête de fagots (sarments de vigne, épines). On transportait ces fagots derrière la salle des fêtes et le dimanche suivant, à la nuit tombante, on allumait cet immense tas de bois. On faisait la ronde autour, puis armé de « brandons » on courait dans le village chez les mariés de l’année en criant « faille faillaisons, que la …. fasse un beau garçon ». On était bien reçu (bricelets, biscuits, cidre). Ce soir là, il y avait grand bal. Pour Pentecôte : croûtes dorées, tranches de pain trempées dans du lait, des œufs et passées à la poêle et sucrées, c’était délicieux. Pour la mi-août, oeufs à la neige.
Puis enfin la vogue de la Saint-Maurice, patron de Challex. La fête avait toujours lieu le dimanche après la Saint-Maurice qui était le 22 septembre (22 et 23). Pour ces deux jours de fête, on recevait parents et amis ; les repas étaient copieux. Pendant plusieurs jours, on préparait gâteaux, raisins secs, pruneaux, papettes que l’on portait à cuire dans le four du boulanger car dans les fourneaux à trous de l’époque, il n’y avait pas de four.
La lessive
Deux fois l’an, au printemps et en automne, on faisait la grande lessive. Tout d’abord, il fallait s’assurer qu’une fontaine soit libre et alors on apposait une petite affiche annonçant que la fontaine était retenue pour telle date. Ensuite on lavait très proprement ces fontaines. A la maison, c’était toute une opération. Après avoir mis « gonver » le « cuvier », grand récipient en bois, on installait dans le fond quelques sarments de vigne puis, par-dessus, quelques sacs de cendres de bois que l’on recouvrait d’une toile. Après avoir frotté le linge, les lavandières le mettaient dans le cuvier que l’on remplissait presque. D’autre part, tout à côté du cuvier était installée une petite chaudière que l’on remplissait d’eau. On commençait à chauffer légèrement cette eau que l’on répandait sur le linge au moyen d’un « gaume ». On retirait ensuite l’eau du cuvier que l’on remettait chauffer à nouveau et ainsi de suite jusqu’à ébullition et cela toute la journée.
Le lendemain on retirait le linge que l’on amenait à la fontaine où les lavandières terminaient cette lessive par lavage-rinçage.
Le docteur
Il y avait deux docteurs dans le pays : le Dr Léger à Thoiry et le Dr Dechoudans à Saint-Jean-de-Gonville. C’est ce dernier qui venait à Challex. On ne l’appelait que dans des circonstances graves et il se déplaçait en voiture à cheval.
Pour les petits maux, c’était la mère de famille qui nous soignait. Elle utilisait des plantes et fleurs séchées et ensachées cueillies par les enfants (tussilage, taconnet, violette, « coucou », bourgeons de pin, fleur de bonhomme, etc…). Toutes ces plantes avaient chacune leur vertu. Pour les petites plaies, écorchures, on appliquait dessus des feuilles de lys qui avaient trempé dans un bocal rempli d’eau de vie. Pour les maux d’oreilles, on versait dans celles-ci quelques gouttes d’huile dans laquelle trempaient des fleurs de camomille.
Spécialiste, notre docteur était aussi arracheur de dents. Il faisait asseoir le patient sur le plancher, la tête entre ses jambes, puis sans autre, avec sa pince et sa grosse poigne, il arrachait la dent (j’ai moi-même eu recours à ce docteur). Ensuite il nous offrait un petit verre de quinquina, rinçage de bouche et voilà !
Plus tard, lorsque le Dr Dechoudans quitta son cabinet, on fit appel aux médecins suisses, le Dr Rotschy à Cartigny, véritable médecin de famille et très populaire et le Dr Delétraz de Russin. Tous deux se déplaçaient en moto.
Les jours, les mois, les ans s’écoulaient avec toujours les mêmes recommencements puis, brusquement, ce fut la terrible nouvelle. Je me souviens très bien de cet après-midi du 2 août 1914.
La guerre
Avec mes camarades, nous étions occupés à « glaner » du blé dans les champs moissonnés lorsque soudainement les cloches du village se mirent à sonner à toute volée. Intrigués, étonnés, on se demandait ce qui se passait ; on supposait un incendie mais comme les cloches sonnaient toujours, on décida de rentrer et c’est presque en courant que l’on arriva au village. Une certaine effervescence régnait. Des groupes d’hommes causaient à haute voix, des femmes pleuraient. J’arrivai à la maison et trouvai ma mère en pleurs ; c’était la mobilisation générale, c’était la guerre ! La France contre l’Allemagne. Le lendemain matin, deux chars à pont, attelés de chevaux, emmenaient 50 hommes de 22 à 45 ans qui, répondant à l’appel, se rendaient à la gare de Saint-Jean-de-Gonville pour être dirigés sur leur unité. J’ai vu ces hommes courageux pleins d’ardeur patriotique – à cette époque on aimait son pays et on allait se battre pour défendre la France – qui criaient « à Berlin et dans un mois on sera de retour » !
Hélas ! Cela devait durer 4 ans et demi. Durant la guerre 14-18, 88 hommes de Challex furent mobilisés et 17 enfants devaient trouver la mort, tués ou morts de maladies sur les champs de bataille.
Pour le Pays de Gex, il y eut 674 enfants morts pour la France.
Ce fut un véritable bouleversement au village. En pleine moisson, il fallait bien assurer la récolte (de plus, plusieurs jeunes chevaux étaient réquisitionnés). On vit alors femmes, enfants, vieillards se mettre à la tâche et en s’aidant les uns les autres (l’esprit de solidarité jouant) on put assurer la récolte. Par la suite des groupes de soldats venaient, suivant les époques, aider les cultivateurs. C’est aussi lors de ce manque de main d’œuvre que des familles suisses vinrent cultiver les terres à titre de fermiers et qu’après la guerre plusieurs de ces fermiers devinrent propriétaires.
Années tristes, moroses. Nous, les jeunes étions bien privés de loisirs.
Enfin, 11 novembre 1918. Les cloches à nouveau se mirent à sonner pendant plus de deux heures annonçant l’incroyable nouvelle : l’armistice était signé ; c’était la fin d’un long cauchemar et le retour envisagé de nos poilus. La paix signée au printemps 1919 ramena au pays tous les poilus survivants et la vie reprit son cours. Pour fêter la victoire, on organisa des bals et la jeunesse put enfin se défouler.
Comme après chaque guerre, il nous sembla qu’une évolution se produisait. L’usage de la bicyclette se répandit, quelques motos commençaient à circuler et les premières automobiles firent leur apparition. Dans le monde paysan, commença aussi la modernisation du matériel : faucheuses mécaniques, râteleuses, bineuses pour la vigne, etc..
Dans l’habillement, ce fut également un renouveau. Les paysans abandonnèrent la blouse, les femmes devinrent plus coquettes, jupes plus courtes, colifichets. Les jeunes gens portèrent complets et souliers bas.
En 1919, une société vint à Challex pour procéder à la recherche de pétrole et un forage fut installé (route de La Plaine, à l’intersection du chemin conduisant chez M. Indlekofer actuellement). Cette entreprise dura environ un an et demi. Quelle aubaine si l’on avait trouvé ce précieux liquide ! Hélas, après avoir foré près de 200 mètres et ne trouvant que quelques résidus huileux, on abandonna les travaux.
Le barrage
En 1920, commença la construction du barrage de Chancy-Pougny sur le Rhône. Ce barrage qui porte le nom de Chancy-Pougny devrait s’appeler réellement Challex-Avully car la construction est faite entièrement sur la commune de Challex et celle d’Avully. C’est M. Ernest Crepel, à l’époque maire de Pougny et député de la circonscription, qui influença en haut-lieu pour obtenir l’appellation de Chancy-Pougny.
A part la main d’œuvre locale recrutée sur Challex, Pougny et les villages environnants, on fit appel à la main d’œuvre étrangère. Des groupes d’Italiens, d’Espagnols arrivèrent et cherchaient logement chez l’habitant. Ce fut une grande animation au village et les commerçants profitèrent de cette nouvelle clientèle. Les jeunes travailleurs, maçons, charpentiers étaient joyeux et des bals furent organisés plus souvent. Quelquefois le soir, après la journée de travail, on allait danser, entraînés par les sons d’un piano mécanique qui venait d’être installé au café de « La Frontière » chez Maruzzi puis également au café de la poste, place de la mairie.
Des cantines furent installées à Mucelle, aux Baraques et bien sûr près du chantier du futur barrage. La mise en eau fut faite en 1925, mais dès 1922 tous les villages du Pays de Gex étaient déjà éclairés à l’électricité. En 1933 fut créé un syndicat intercommunal d’électricité du Pays de Gex dont le siège était à Collonges. Les écarts du village dont « Très la Salle » ne furent éclairés qu’en 1933.
Quelle révolution ! Fini les bougies, lampes à pétrole, c’était incroyable. Pour l’installation électrique dans les habitations, des groupes d’électriciens travaillèrent hâtivement. Lors de la pause des lampes ou ampoules, on demandait aux futurs usagers quelle force ils désiraient : 40, 50, 60 bougies. A l’époque, on n’employait pas le mot watt pour les ampoules. En passant, je vous cite une petite anecdote qui s’est passée dans une habitation à Challex. Alors que l’électricien demandait au propriétaire s’il désirait des lampes de 50 ou 60 bougies, une bonne vielle grand-mère qui écoutait s’écria en patois « oh mon diu yoté que l’on va metto tottes s’len bougies ! ».
Une autre anecdote que l’on m’a racontée : toujours lors de l’installation de l’électricité, une vieille dame a dit : « au moins cette fois j’y verrai clair pour allumer ma bougie ! ».
A l’automne 1923, la douane installa ses agents dans tous les postes frontières. Challex accueillit une dizaine de douaniers dont une fouilleuse, des familles mais aussi des célibataires qui furent difficiles à loger. Pour le désagrément causé par l’installation de la douane à la frontière, la commune obtint du gouvernement une indemnité (dite indemnité de zone), soit 40 francs par tête d’habitant par année et cela pendant une durée de 25 ans.
En 1924-1925 ce fut la construction de la route Challex-Pougny. Auparavant, la route de Pougny passait par « Les Carres » et « Marongy » pour arriver vers la tuilerie Crépel, une très mauvaise route. C’est également en 1925 que la société de fromagerie construisit son nouveau bâtiment.
En 1928 la commune fit procéder aux premiers travaux en vue de l’installation d’un réseau d’eau qui fut terminé et inauguré en 1930.
L’eau, l’électricité, c’était le paradis car les ménages qui n’avaient pas de puits devaient s’approvisionner aux fontaines communales ou alors chez le voisin si l’on était en bons termes.
Les puits avaient une profondeur de 15 à 20 mètres. C’était un sapin, troué au centre qui plongeait dans la nappe d’eau et une tige de fer reliée à un piston, actionnée par un balancier où l’on pompait l’eau qui s’écoulait dans un bassin (bourneau). Il y en avait un presque devant toutes les habitations, situé dans la cour ou devant l’écurie.
C’est en 1930 que Challex organisa une cavalcade en faveur des sinistrés du Midi, fête qui obtint un immense succès.
Les années s’écoulent et le Pays de Gex traverse une période d’aisance et de prospérité (après la crise économique de 1929 qui n’affecta guère le Pays de Gex). Au point de vue social, c’est l’application des lois relatives aux assurances sociales et allocations familiales.
La guerre à nouveau
Et puis, hélas, la situation internationale s’aggrave et le 3 septembre 1939 de nouveau la guerre éclate entre la France et l’Allemagne. Au début des hostilités, ce fut une drôle de guerre car, de septembre 1939 à mai 1940, les soldats attendaient les événements. Soudain le 10 mai 1940, ce fut le déclenchement de la puissante offensive allemande, invasion de la Belgique. Bousculée, l’armée française se replie et c’est l’invasion de la France, puis la signature de l’armistice le 17 juin 1940. L’armée allemande va occuper la moitié de la France ; ce sera la zone occupée et la seconde moitié, le sud, sera la zone libre. Un groupe de soldats allemands vient s’installer à Challex, à la « Badiane ». Ce sont des soldats d’un certain âge et quelques-uns ont déjà participé à la guerre 14-18. Tout se passe assez calmement à Challex bien que l’occupant ait déjà pris certaines mesures : interdiction de circuler la nuit après 21 heures, camouflage des lumières. Challex, comme toutes les communes du Pays de Gex est déclarée zone interdite. Impossible de se rendre à Bellegarde (zone libre). Toutefois, cette mesure a été en partie levée au mois de septembre permettant ainsi aux ouvriers de se rendre à Bellegarde munis d’un « Ausweiss » pour leur travail.
Dès le printemps 1941, c’est alors que commencent les réquisitions, bétail, beurre, fromage, etc.
Le S.T.O. (service travail obligatoire) est instauré et plusieurs Challaisiens sont requis pour aller travailler en Allemagne. Hélas, trois Challaisiens, MM. Victor Belotti, Attilio Buffon et le jeune Collombet y trouvèrent la mort à la suite d’un bombardement aérien de l’armée anglaise.
Puis ce fut la délivrance de cartes d’alimentation et le rationnement sur tous les produits alimentaires, les vêtements, le cuir, pneus, etc. On commença alors à user de tous les moyens pour parer à ces mesures ; on planta de la betterave sucrière que l’on faisait cuire et réduire. On obtenait ainsi un sirop qui remplaçait le sucre. Pour remplacer le café, on grillait de l’orge et l’on mettait également à sécher les racines de chicorée. On fabriquait le savon avec de la graisse de boeuf et de la soude caustique.
On consommait beaucoup de pommes de terre et de rutabagas sans gras bien sûr. Les enfants et surtout les jeunes gens avaient faim.
Quelquefois, les hommes du village étaient convoqués à la « Badiane ». Ils devaient balayer la route depuis la « Badiane » jusqu’à Greny car, paraît-il, les voitures de la « Kommandantur » crevaient trop souvent (et pour cause !). Parfois, aussi, ils devaient prendre la garde durant quelques heures au pied des poteaux téléphoniques pour éviter les sabotages.
Chaque soir on écoutait la radio interdite de Londres qui nous donnait des nouvelles du pays. On vivait un peu dans la crainte mais aussi l’espoir.
Dès 1942, des groupes de maquis, résistants s’organisèrent et cela irritait les Allemands qui, dès 1944, se livrèrent à des expéditions punitives contre les parents qui avaient un des leurs dans le maquis. On incendiait leurs maisons, on tuait. A Challex ce fut M. Luis Chappaz qui fut arrêté, brutalisé et fusillé sous Thoiry ; sa maison d’habitation fut pillée. Jours sombres, tristes souvenirs, mais bientôt c’est la libération : l’armistice signé le 8 mai 1945. C’est l’espoir, la joie, la vie qui reprend son cours.
Là s’arrête mon récit et on retrouve Challex, village plaisant, fleuri et accueillant où il fait bon vivre.
Je souhaite donc à tous d’y vivre heureux et sachez que si le « Pays de Gex était un mouton, Challex serait le rognon ».